*

La carte du monde
a la couleur de tes yeux.
Elle enveloppe les rues
d’ombres qui luttent et qui hurlent
sans savoir pourquoi.
Elle enveloppe les briques fanées
par tes pensées, fleurs bleues rouges
noirâtres qui n’ont aucun
moyen de communiquer.
Une cantatrice sans cheveux
chante une chanson anglaise
sur le siroco ailé qui
me tourmente. Au milieu des pas qui
tambourinent dans la rue,
tout parle de toi.

L’arrivée

Comme entre matinale
une rafale de vent, tu es arrivée
ce soir-là :
comme un clandestin qui passe une frontière.
Comme les ombres recouvrent, le soir,
les murs nus où les pensées du jour
refont surface, tu m’as recouvert
des ténèbres azur de ton
feuillage indécis,
avec ton visage de renard désormais ivre,
avec ton esprit libre et un peu opaque.

*

Ce n’est qu’à vivre avec toi
que je pourrais mettre à bas
le destin de la vie
vaine qui m’a tué.
Ce n’est qu’à vivre avec toi
que je serais l’eau, que je serais
le feu, que je serais un fou,
que je serais un jeu.

Réconciliation

De la cruche sur la colline de ton cou
goutte la nécessité de sentir que
tu existes encore : tu n’es ni un vain espoir
ni un souvenir fumeux étalé sur
les murs d’un Mc Donald’s enfumé
de frites, tu n’es pas l’effrayante perfection
du tyger que chante Blake, tu n’es pas un soleil
furieux de changer désespérément.
Tu es toi – enfin.
Je bois à petites gorgées un thé chaud et solitaire
tandis que de l’autre côté du téléphone tu susurres
les mots que j’aurais toujours voulu
t’entendre dire.

Séparation

L’heure de la mandarine, que tu cueillais
chaque après-midi sur l’échelle
près de la maison
de la frontière, est passée.
Tu désespères à l’idée que la tempête de
fleuves, de mers, de courants,
puisse cesser de vivre.
Moi, tandis que je me promène
dans le midi ensommeillé
d’un jour d’été froid,
la pâleur recouvre mon visage.
C’est toujours d’une façon différente de la mienne
que tu réagis aux adversités de la vie.
Aujourd’hui, je n’ai pas été saisi
par la laine rêche de ta peau.
Tu cueilleras une mandarine
de marbre,
squelette nu
d’un sentiment épuisé.

*

Les traces blanches que tu as laissées
sur les feuilles du salon
ressemblent au givre qui
se forme le soir, en novembre, lorsque le soleil
chaque jour se décide à mourir.
Ce soleil laisse derrière lui une trace éparse
et incompréhensible dans l’air rosé
et violacé du soir.
Toi, tu as laissé des empreintes
qui ne parlent pas mais qui
muettes
sont des statues superposées
de fragments de toi.

Grand-père

Vain, ton sourire
ne l’était pas.
Imparfait, ce monde,
ce monde sur les ailes
duquel tu volais léger.
Chats, meringues, cravates, parfums :
c’était le lexique du
bonheur
à bas prix.
De toi, tout restera.

Vers Delft

Depuis le train, je vois les flashs azurés
de cet air hollandais.
L’Oude Kerk carillonne, sonore,
dans le tambourinement suffocant
des canaux asséchés par ta présence.
Tandis que je traverse les ponts
je m’aperçois que le sifflement du train
est devenu briques
est devenu petits locaux
est devenu l’atmosphère orangée du Markt.
Tu es dans les fleurs d’inexprimable rien
dans les vitrines de diamants
dans les perles des boucles d’oreille.
Des notes froides émanent des maisons sans rideaux.
Et moi je ne sais qui part et qui reste.