Soit un jeu de cartes exclusivement composé de la couleur cœur : as, roi, dame, valet, 2, 3, 4, 5, et ainsi de suite jusqu’à 49. La partie s’arrête quand le paquet est épuisé. La seule règle est de piocher. Le but est de ne pas perdre. Aucun cas de victoire n’a jusqu’ici été documenté. Joueur 2 pioche. Joueur 3 pioche. Joueur 1 pioche. Dans un coin de la pièce, un spectateur suit attentivement la partie et essaye de deviner le prochain mouvement. Joueur 2 regarde sa carte. Il la montre aux autres. Le soulagement est collectif. Tout n’est pas tout à fait clair. Joueur 3 soulève sa carte en tremblant, la tourne de vingt degrés, le spectateur a vu de quelle carte il s’agit et ferme les yeux. Joueur 3 s’arrête en plein mouvement, ne finit pas de retourner la carte, la repose au milieu du paquet. Comme il pose sa carte, il ressent une douleur cinglante à l’épaule. Joueur 1 pioche. Il n’a pas encore regardé sa carte mais il sent qu’il va perdre avant les autres. Il serre les dents. Il n’avait pas demandé à jouer. Il s’énerve. Il prend la carte, la montre aux autres, observe la réaction sur leurs visages, déchire la carte en petits morceaux et l’avale. À ce stade-là, il n’est pas tout à fait sûr qu’il ait perdu, mais la probabilité a nettement augmenté. On dirait qu’il s’est éloigné dans la pièce et que son corps prend moins de place, comme si le volume d’air qu’il occupe avait diminué. Joueur 2 pioche. Joueur 1 pioche. Joueur 3 pioche. Joueur 2 soulève sa carte, ne la regarde pas, enlève sa veste et sa chemise, prend une épingle qu’il fait passer dans la carte puis dans sa peau. Personne n’a rien dit. Joueur 2 continue de sourire, la carte accrochée à sa poitrine. Tout n’est pas tout à fait clair. Joueur 1 retourne sa carte, reste figé un long moment puis montre sa carte au spectateur qui hoche de la tête d’un air approbateur. Les autres le regardent avec étonnement, ne comprennent pas comment cela a pu se produire. Joueur 3 est toujours tremblant, la douleur a commencé à irradier dans l’ensemble de son corps. Il se penche pour soulever sa carte et au moment de la retourner, il sent un coup dans sa poitrine, suivi d’un deuxième, un troisième, et ainsi de suite, d’intensité croissante, pendant quelques secondes. Il tombe à terre. Deux hommes entrent dans la salle pour évacuer le corps. Joueur 2 a cessé de sourire. Un filet de sang s’écoule de sa poitrine, juste en dessous de la carte. Le spectateur adresse un signe discret aux deux hommes pour qu’ils restent. Joueur 1 n’a rien vu : il pioche une carte, la retourne et s’apprête à la montrer à son adversaire. Il lève les yeux vers lui et voit, à la place du joueur, une flaque rouge avec une carte au milieu. Joueur 1 repose la carte qu’il vient de piocher. Le spectateur se lève, lui serre la main et le félicite. Il sort. Joueur 1 essuie une goutte de sueur, ramasse les cartes, les rince, les mélange et attend que deux nouveaux joueurs entrent. Tout n’est pas tout à fait clair.