Sands

une nuit     on est en novembre     je dirige mes phares     à travers la bruine     m’arrête devant une église     qui est éteinte     dans le noir

de l’autre côté d’un parking de flaques     une salle municipale se tient accroupie     comme une honte secrète     ses néons orange     attirent cinq mites cassées     nos ailes arrachées

Deren nous appelles toutes ma belle     dit merci d’être venue ma belle     verse du thé d’une bouilloire blanche bon marché     pendant que nous nous présentons     à nous-mêmes     ombres laides     privées de sommeil     corps post-bébés sans bébés

on s’assoit en cercle     sur des chaises en plastique     baisse les yeux sur des bottes Ugg     tachées par la pluie     et on parle de nos bébés

Carly parle de la tombe de son Evie     les guirlandes     pour qu’elle ne soit pas dans le noir

Vicky n’a pas dormi dans son propre lit     n’a pas parlé à son père     depuis l’accouchement     elle a un sac de voyage et les canapés de ses amis     elle a dix-neuf ans

je parle du fait de n’avoir aucune photo de son visage     de ne pas l’avoir tenue dans mes bras à ce moment-là     de les avoir laissés la prendre trop tôt     du retour à l’hôpital     quatre jours plus tard     quand on a demandé     qu’on la remonte de la morgue     pour pouvoir lui donner un nom

Tasha dit que les services de santé mentale c’est de la merde     ils vous donnent juste des médicaments ou vous internent     vous mettent dans une chambre où les rideaux sont retenus par des aimants     dit bien sûr que je suis suicidaire     mon bébé est mort

et on sourit     parce qu’on sait     on doit se réunir la nuit dans les petites pièces du fond     femmes-mites cassées     balayées hors des hôpitaux et des salles d’attente     sédatées     ou piégées dans des penderies     à paniquer contre les portes

Insomnie

la lune comme un œil cousu ouvert     la lune comme une roue qui fait tourner mon corps sur des décombres     dans un chariot en bois     la lune comme une tête d’argent     qui s’écoule en fusion     au-dessus de ce qu’elle berce     la lune comme dessinant ton visage     puis obscurcissant ton visage     la lune comme quelque chose de petit sur quoi veiller     la lune comme un fantôme     lavé de lait     par une nuit froide     la lune comme un visage blanc     lavé par des infirmiers     par une nuit froide



Fête en bateau

La Tamise est électrique et le soir est ivre ; la rangée de projecteurs fait tournoyer du rose et du vert sur la rivière ; chaque éclat de lumière sur l’eau comme un mégot qui brille un instant avant d’être écrasé, chaque constellation de cendres perdue dans les autres. Sous le pont du bateau, c’est hip-hop contre RnB et je pense que le hip-hop gagne, de justesse. On passe sous Hungerford Bridge et pendant quelques secondes on a peur que des gens nous crachent sur la tête et dans nos pintes, mais voilà qu’au-dessus d’un bateau à vapeur amarré à la berge, le Parlement lève les mains en l’air, forme un pistolet avec ses doigts pointés vers le ciel, et un type fait un doigt à l’édifice en général et crie nique ces connards et on rit tous et on répète nique ces connards mais je suis sûre que chacun pense à un cas différent, individualisé, de connard ou d’ensemble de connards. On descend vers un coucher de soleil couleur Sex on the Beach, et la lune est brute comme un bout de chair sous un coup de soleil qui pèle, et à l’intérieur la foule martèle sur le plafond bas et doré tandis qu’une chanson se termine, et plus tard il y aura des sifflements dans les oreilles et plus tard il y aura des flashs de lumière comme des éclairs.

Blackheath

Courir pieds nus à travers la lande sombre,
avec une chance ivre éviter les bris de verre,
c’était comme tout le reste entre nous :
le défi, le rire, le risque, la conscience
qu’on n’était qu’à un pas de la douleur.
Faire les cons à la fin du jour le plus chaud
de l’été. Soudain les énormes gouttes de pluie.

Le Corner Café

Je suis assise dehors, au Corner Café que je prononce encore caf, pas ca-fé. Une sirène disperse les pigeons et je dois déplacer sans arrêt la table et me déplacer moi-même autour de la table pour laisser mon visage au soleil. Le soleil lit en moi par-dessus l’épaule d’une barre d’immeubles comme celle où je n’ai pas grandi, mais mon père oui, et où je me suis rendue tous les dimanches pendant douze ans ; où l’on montait dans l’ascenseur en acier et ma nounou disait attention aux coins, les filles, il y a du pipi dans les coins, parce que des hommes pissaient dans les coins. J’ai fini mon panini, ce n’est pas un sandwich chaud mais un putain de panini. Un van hésite à se garer sur une place en plein soleil et je laisse la serveuse emporter mon assiette. Mon premier boulot, ça a été de laver les assiettes, ce qui est le cas de la plupart des gens, je sais, mais à ce que je sache je suis la seule personne qu’on ait déposée à Oxford dans un van Transit. Et quand j’étais un bébé dans cet appartement-là, ma nounou me lavait dans l’évier et me mettait sur le côté pour que je sèche, comme une assiette. Pendant quelques instants, le trafic devient bruyant, comme si tout d’un coup des voitures s’étaient échappées de quelque part. Et puis ma mère m’appelle sur mon portable et je sais que j’ai cette voix de mouette qui survole une déchèterie ; et je me sentirai toujours un petit peu laide et cassée à l’intérieur, comme une machine à laver abandonnée dans la rue, mais maintenant je suis en train d’écrire ça, je ne suis pas en train de lire le Sun ou de prendre mon dîner devant la télé, et maintenant je me démène pour que tout ça ait du sens, et je suppose que ce que j’essaye de me faire dire, c’est quelque chose comme parfois je ne sais pas quoi dire.

Je suis du matin

mais seulement quand ledit matin
fait entrer sous la douche deux mouches bleues
qui vrombissent comme de petites tronçonneuses
et rebondissent sur les carreaux noirs
comme des pruneaux électrocutés

et seulement quand
au commencement dudit matin
je fouette à mort l’une des mouches bleues
avec une serviette blanche puis je fais couler
son cadavre dans le conduit

et quand pour continuer
je laisse l’autre mouche vivante
juste une heure et j’écris
JE VEUX UN BÉBÉ sur
un morceau de papier toilette

JE NE VEUX PAS DE BÉBÉ
sur un autre, puis je me poste
à l’entrée pour voir sur lequel des deux
la mouche maudite mais bien vivante
se posera, et rendra vrai.