Sinon, hiver (I)
la première fois
ce n’était pas toi que j’avais vue
mais ton reflet
qui ajustait dans le miroir
ses cheveux couverts de sueur et de pluie
tu avais monté l’escalier
tourné à droite
ton reflet aussi était parti
avec ta voix petite
ton oreille droite qui n’entend pas
et ta gaucherie
tu avais feutré mon électricité
d’une curieuse douceur
rendu mes mots attentifs
(comme par jeu
on s’était tus)
abrités de la nuit
sous un toboggan rouillé
nous y avions trouvé la Russie entre deux averses
partout
les réverbères s’étaient éteints
seule nous éclairait
une petite fenêtre où
toi lente
moi hâte
nos reflets s’étaient découverts
c’était le printemps dans nos gestes
pendant que l’on parlait
tu avais tourné dix fois ton verre sur la table
cinq jours d’un coup étaient passés :
de l’autre côté de la porte
on venait de changer de saison
·
je ne savais plus
quel jour on était
ardents comme une
neige sur une peau nue
(loin après longtemps derrière j’y repenserai à cette fenêtre entrouverte aux saisons de cette nuit au son de tes doigts sur mon corps)
Sinon, hiver (II)
je ferme les yeux écoute
mon corps ma chair mes
muscles entre tes mains
bras droit quinze degrés ouest
genou gauche dix centimètres sud
autour de moi tu tournes
articules mon corps une phrase
de l’espace n’en laisses
pied droit trente degrés nord
hanche droite vingt degrés ouest
tangue
bras jambe cou bassin torse pied main tête aisselles
phrase s’allonge orteil coude orteil genou hanches
main cou bassin cuisse bras torse
tremble
mains moites peaux collent tes regards me blessent tourne mon
pied tourne ma hanche tourne ma
droite s’élève ta peau me brûle
je
tombe
je passe la tête
un bras
l’autre
ajuste le col
bouton après bouton
je referme ta peau
sur la mienne
·
j’enserre ta
paume en
mes doigts
te tire à
moi te
glisse en
et entre
et sur
toi coule
ma joie
de toi
·
par le store des gouttes
de soleil se couchent
en ton sexe baigné
d’ombre m’y glisse
lumineusement te
bois d’un trait à l’autre
ton goût est d’août
trois hivers trois automnes deux printemps à nous dévorer comme qui
aurait pensé cela possible et qui
aurait cru l’amour comestible
érotophages nous rassasions repus nous reposons
l’un dans l’autre l’un de l’autre
trois hivers trois automnes deux printemps qui
ont traversé nos vies comme un sourire
et les mûres étaient si bonnes
qui coloraient nos lèvres
sous le toboggan rouillé
qu’on aurait pu en oublier
de faire refaire l’amour
entendre
à nouveau
le bruit des lèvres d’en haut
sur les lèvres d’en bas
Sinon, hiver (III)
le matin
tombe
par la fenêtre
le souvenir d’une neige russe :
au fond du jardin
elle a déshabillé l’arbre
plus nu que nos jours ensemble
(qui
désormais
escortera la nuit ?)
la mi-saison
s’avance froide entre nous :
dehors des flocons blancs
tombent d’un plafond bleu
et le soleil n’y peut rien
dans la chambre les toiles d’araignée
sont des cerfs-volants de cristal
(je broie du gris,
pas noir tout à fait)
dans cet hiver creusé bas
tu dégorges de tendresse
la tisses aux murs en peins
les draps les meubles tes
yeux ridés de regards ta
bouche gercée de mots
tandis que
cousue ma colère au plancher
j’attends que revienne du
blanc dans ma vie sur mes yeux
(quand donc est tombée la dernière feuille de l’arbre ?)
pousse
tes doigts
sous ma peau
saigne
noir
de nuit
repais-toi
de cette guerre :
(cette année
il n’y aura pas de solstice entre nous :
hiver, toujours)