(départ)
clandestin il emmène ses souffles
à tour de ville roule sa bosse
en bord de route fait une pause
ouvre son sac déballe sa vie la
grignote à coups de cure-dents
sa peau est une odeur de voyage
froid du Sud ciel du Nord
vide entre les deux
il grince
sur un plancher
de terre brunâtre
marche tant qu’il ne se
souvient plus du premier jour
janvier c’est la ville décembre la mer
la mer au port de ses pas
somnambule la mer il y retournera
ses yeux clos et les volets aussi
de cette auberge de village
il y dort mal mange bien
coude et monde légers
comme un vent de mai
quand avril est loin
au matin il croise la lune
poussée par un oiseau :
lui aussi cherche un vent favorable
tout partout des maisons du soleil à
en crever des églises
abandonnées et Dieu peut-être
au virage d’une route
ornée d’un bouquet
de fleurs
au village suivant une oie
des maisons basses cabanes
un grand manoir inachevé
comme les maisons tziganes
de l’autre côté du continent
de ville en ville il se recoud
trace un trait sur la carte
une cicatrice dans sa vie
il oublie jusqu’à son âge ne
sait plus vers quelle saison
quelle ville aller ignore aussi quel
sentier prendre au prochain carrefour
et la route est si
belle sous ses pieds
qu’il pourrait oublier
de partir vers la mer
la mer toujours
la mer aux femmes décapitées
derrière leurs parapluies la mer
que le soleil a oublié une semaine
de décembre la mer qui n’était
peut-être pas elle-même
cette fois-là
la mer que voici
se donnant à lui
vaste de vagues
et de bruit
la mer qu’il
endigue ferme
au creux du poing
la mer
enfin –
(départ encore)
puis de la mer il repart
doutant un peu plus
janvier c’est la ville
décembre quoi
il repasse le pont une fois
encore conjure le sort
fait demi-tour Nord
toute désormais
il plante ses doutes en terre et
en temps et en heure et d’autres
mauvaises herbes pousseront par là
devant lui s’étale la route sa
vie semée d’embûches
où brûleront-elles
sans cheminée
ni étincelles
il lève la tête au ciel couvert
de nuages plus rugueux que
des falaises les grimpera-t-il
il saute de précipice en précipice
d’une faille à l’autre tend des
cordes d’espoirs faciles
passe ne repasse plus
pierre, bois, couteau
il aiguise ses lames
coupe sa vie
en petites
tranches
mais soudain au détour
qui l’eût cru que
voici encore
l’eau petite
l’eau pas de mer
le fleuve inattendu
qui sans s’arrêter
se court après –
ce qu’il cherche
le poursuivra-t-il
encore longtemps ?
Arriver
il
longe le fleuve le long de la rive
s’ef fraye
d’un chemin
inconnu jusque là
(il fait un pas de côté, un autre pas de côté, se rend compte qu’il est revenu à la position initiale, refait un pas de côté)
remplit
son corps
en cette terre qui
ne plie pliera pas jamais
sous son poids outre le
centimètre de boue qui
dégorgeant le ralentit
(il ne sait pas où il va)
s’en racine
sans
source
ni peur
il suture
ses pas
un à
un
re tombe
au bord
se re-
tourne revient
d’où qui ne fuit personne
poursuit
marche jusqu’à
plus soif et c’est bientôt
que tombe la dernière goutte
il en terre de
sa rage
les cris
s’ef face à lui-
même sa peine
à porter trop lourde
(ne rien dire, ne pas parler : silence dans tout cela et sur toute chose)
il poursuit
son penchant
de la terre
ex- prime l’urgence dans
ses pas vite dé-
passe toute mesure
(qu’est-ce qui pourrait l’arrêter)
il effleure du bout
du pied un brin
d’herbe qui
flotte
es- suie le revers
de la terre
sur sa main
il s’écueille
sur la rive
s’emmêle et prend terre
et le voici au bout du fleuve, toujours il cherche cela qui le fait, pour une certitude se serait arraché un œil et pour jouer aurait fermé l’autre, en tête sa fuite et dans son sac ses désirs qu’il n’ouvrira peut-être jamais, des certitudes à sacrifier il n’en a plus
il
se laisse porter par le bruit du courant
Dans un bruit blanc
outre l’air
j’ai construit
les murs de ma voix
derrière le pays désitué
je cherche mon endroit
un bruit blanc
où m’envelopper
à peine
le quadrillage de mes os
poreux malléable perméable
je
n’ai qu’un ciel beige où attendre la catastrophe
où
à toi je repense qui
en mes nouages
me
touches
m’accèdes
m’accélères
ce soir peut-être
le monde tournera-t-il encore une fois
Arriver (suite)
il trébuche
des mots
qu’il
glisse
sous sa chemise
enroule
sous son bras
coud
sous sa peau
·
il en terre
souvent ses rêves
pourquoi cette fois
ne pas creuser
·
(il disait pourtant
qu’il n’avait plus rien à dire
se
contenterait
de respirer
ne penserait plus)
·
s’il dé route
peu importe
laquelle prendre
s’il dé vie
n’en a qu’une
déjà trop
·
il jette sur l’autre rive
ses soucis
cha vire
de bord
encore
Liquides
) il s’arrête et ramasse une orange : y enfonce les doigts les ongles, la serre si fort qu’il la transperce, sur sa main son bras le jus coule, arrive au creux du coude : il l’étale jusqu’à l’épaule et sur le torse, sur ses jambes il fait jaunâtre sa peau et de plus belle, écrase le fruit contre son corps : une pulpe –
au soir se rince dans le fleuve (
·
) il s’y enveloppe, y flotte : frais d’eau il baigne et son écorce de peau s’amollit : une pellicule orangée se décolle avec la forme d’un corps qu’à la nage il suit, comme son ombre portée par le courant il suit –
sous la pénombre s’endort (
·
) au matin
flotte dans le ciel rableui
une odeur d’agrume (
En chemin
à dix kilomètres de là,
ils lui ont montré un chemin sur la carte et lui ont souhaité bonne route sans comprendre où il allait ; dans la chambre, il n’avait pas laissé de mot.
à deux cents kilomètres de là,
une jeune femme se demande où il est parti ; une goutte de thé se renverse sur la moquette comme un signe secret sur une carte au trésor ; peu à peu, la tache se résorbe, la jeune femme s’endort.
à mille deux cents kilomètres de là,
un enfant colle des morceaux de papier sur les pays où il voudrait aller puis tourne le globe d’un coup sec : tous les petits papiers s’étalent sur le parquet – l’enfant ne savait pas que sur l’un d’entre eux, un homme marchait.
Les murs
il lui fallait, d’habitude, moins de temps pour cesser de se cogner aux murs : souples, flexibles, ils s’écartaient sur son passage et formaient un chemin qui le ramenait avec douceur au point de départ : cela, plutôt que le refus solide des murs de ciment dur.
aujourd’hui, les murs lui sont partout semi secs : pas assez délicats pour céder le passage, pas assez fermes non plus pour qu’il s’y fracasse – juste assez pour qu’il s’y heurte et veuille réessayer.
derrière l’un des murs, un ruisseau longe une prairie anglaise : il s’y trouve, dirait-on, du lin coloré.
est-ce donc enfin l’affluent ?
Le chemin est le chemin est le chemin
ses chaussures ne sont plus des chaussures
mais un conglomérat de Sud, de terre, de Nord, d’asphalte, de tous ces chemins et de toutes ces langues parcourus kilomètre après kilomètre pour trouver lui-même ne sait pas quoi.
cette herbe n’est plus de l’herbe
mais la surface verte et humide sous laquelle sont tombés ses amis, des amas de poussière interrompus au milieu d’une phrase, leurs vies, tout net.
sa peau n’est plus une peau
mais la somme des mains qui jour après jour l’ont caressée, du bout des doigts y ont fait effraction, lui ont peint à même le corps des traces de tendresse pour qu’il comprenne qu’il ne serait jamais, était-ce seulement possible, seul.
l’été n’est plus l’été
mais le bois d’une fenêtre qui gonfle de chaleur, sa chemise qui sèche dans un jardin de banlieue, un picotement sur sa nuque rougie, une sueur insouciante qui coule le long de son dos.
le ciel n’est plus un ciel
mais un plafond parfois si bas qu’il doit s’allonger sur le sol, pris en étau entre deux bandes horizontales, écrasé par la masse informe de souvenirs qui accompagne un trop-plein de jours et de nuits.
son chemin n’est plus un chemin
mais un couloir de bruit, quand noir quand blanc, couvert d’une fine caillasse dont il remplit ses chaussures qui ne sont plus des chaussures mais le soutiennent encore dans la chaleur étouffante de cet été qui n’est plus un été sous un ciel qui n’est plus un ciel et ne cesse pourtant de brûler sa peau qui depuis longtemps déjà n’est plus une peau c’est-à-dire depuis ce premier pas sur le carré d’herbe qui n’était plus de l’herbe, le sera-t-elle encore un jour, pour le savoir il faudrait poser la question dans une langue qui soit une langue avant de poursuivre le chemin qui n’est plus un chemin,